L’ECONOMIE DE DÉBROUILLE : QUI FIXE LES PRIX EN RDC

L’ECONOMIE DE DÉBROUILLE : QUI FIXE LES PRIX EN RDC ???

INTRODUCTION

J’ai appris au cours de mon existence que nous avons deux témoins, la conscience et Dieu.  J’ai retenu de mes années d’université que le droit ne régit pas les relations métaphysiques, ni les rapports de cœur. La religion répond aux besoins du cœur ; la science à ceux de l’esprit. La religion sans preuve et la science sans espoir sont debout, l’une en face de l’autre, et se défient sans pouvoir se vaincre. Certains savants ont fini par penser que la foi est le courage de l’esprit qui s’élance, en avant, sûr de trouver la vérité. Les principes gouvernent là où autrefois la révélation était le moteur des causes orthodoxes qui donnaient quelque fois vie à des effets hétérodoxes. Le droit fut un moment sous la coupe des ordalies, de l’inquisition et des épreuves superstitieuses. En droit moderne, la vérité est une construction de la pensée. Elle porte des épithètes, comme cette justice aveugle qui cherche la manifestation de la vérité judiciaire.

Les choses jugées sont ainsi tenues pour vraies, à la lumière de la loi, sans forcément se servir de la torche de Diogène. Les mêmes savants se font de la vérité, sans épithète, une idée tout extérieure et matérielle : l’on s’en rapprochait à mesure qu’on accumule un plus grand nombre de faits. Iconoclasme, syncrétisme, éclectisme buttent, sans vaincre, contre le cartésianisme triomphant.[1]

Pendant que le monde est secoué par le COVID-19, une bonne communication éviterait à notre peuple une propagation rapide du virus. L’histoire retiendra que ce vendredi 27 mars 2020, après l’annonce de monsieur le Gouverneur de la ville de Kinshasa de rendre obligatoire le confinement pendant 4 jours, les kinois et kinoises étaient plus nombreux pour s’approvisionner de la nourriture et consorts.

En République démocratique du Congo, nous avons remarqué que le gouvernement avait mené une politique d’austérité à partir du mois de septembre de l’année 2019, pour répondre aux exigences d’orthodoxie budgétaire. Malheureusement, nous constatons la dépréciation du franc congolais face au dollar et la hausse des prix observés ces derniers mois. Cette situation est devenue tellement alarmante que nous n’oublierons jamais la journée du 27 mars 2020. Face au silence coupable du gouvernement congolais, violant ainsi l’article 10 de la présente loi, exposant la population au covid-19, le spectacle de la hausse des prix sur le marché était au rendez-vous. Sucre, poulet, riz et haricots, les prix de ces produits alimentaires de première nécessité dans les ménages kinois ont grimpé sur le marché de manière inexplicable. Beaucoup de nos concitoyens n’ont pas pu s’approvisionner sous le silence cinématographique du Ministre de l’Economie Congolais.

Le prix d’une mesurette de haricots est passé de 1 500 à 3000 Francs. Celui du sucre a augmenté de 90%. Un sac de riz revient en moyenne désormais à 49000 FC alors qu’il se négociait à 30.000FC, il y a quelques mois, c’est ce qui justifie l’intitulé de notre article, une économie de débrouille, une économie qui est incapable de se stabiliser et d’apporter des réponses adéquates face aux situations urgentes pour protéger les consommateurs.

Actuellement, la loi en vigueur est celle de 2018 qui fixe la liberté des prix et de la concurrence. A cet effet, l’article 86 dispose que :

« Sont abrogées toutes les dispositions de l’ordonnance-loi 41-63 du 24 février 1950 portant sur la concurrence déloyale, du décret-loi du 20 mars 1961 tel que modifié et complété par l’ordonnance-loi 83-026 du 12 septembre 1983 sur la réglementation des prix et de l’arrêté départemental du 15 juin 1987 portant création et fonctionnement de la Commission de la concurrence ainsi que toutes les dispositions antérieures contraires à la présente loi. »[2]

Malheureusement, dans les faits, on observe que les choses ne se passent pas souvent aussi bien que prévues théoriquement, et que bon nombre de pratiques tendent à fausser le jeu de la concurrence, qu’il s’agisse des pratiques anticoncurrentielles[3] ou des pratiques restrictives de concurrence[4], qu’il s’agisse des pratiques illicites ou des pratiques déloyales[5].

L’illustration de la journée du 27 mars courant peut nous être d’un témoignage frappant.

Face à cette situation, un communiqué du porte-parole du gouverneur nous indique que la décision de confinement est reportée en raison de non-respect des prix par les opérateurs économiques. Je m’interroge, qui fixe les prix en RDC ???

CONTROLE DES PRIX 

La libre concurrence gouverne la vie des affaires. Cette théorie signifie que chaque opérateur économique est libre d’attirer et de conserver la clientèle, le dommage en résultant pour un concurrent malheureux étant licite. En substance, l’article 6 de la présente loi dispose que : « Les prix des biens et services sont librement fixés par ceux qui en font l’offre. Ils ne sont pas soumis à homologation préalable mais doivent, après qu’ils aient été fixés, être communiqués, avec le dossier y afférent, au ministre ayant l’économie nationale dans ses attributions, pour un contrôle a posteriori. »[6]

Le contrôle des prix, se justifie par les motifs pour lesquels il est décrété et par le Contexte dans lequel il se déroule. Ces motifs sont :

  • Sauvegarder l’ordre public : lorsque les opérateurs économiques fixent les Prix des produits à vendre, ils peuvent exagérer. Et lorsque la population se retrouve dans un contexte où elle ne sait plus faire face à des prix exorbitants, elle risque d’exploser et l’insécurité va s’installer et l’ordre public sera troublé.
  • Garde-fou pour éviter un dérapage dans l’application des prix, le pouvoir insiste sur la présence continuelle des agents de l’économie auprès des opérateurs économiques, en vue de surveiller le marché
  1. Qui fixe les prix ??

Les entreprises fixent librement leurs prix, toute discrimination tarifaire est interdite (les prix doivent être identiques pour des clients qui achètent selon les mêmes modalités). De plus, certaines règles garantissent une saine concurrence.

C’est à juste titre que le législateur congolais a prévu la liberté de fixer le prix en son article 6 ; Les prix des biens et services sont librement fixés par ceux qui en font l’offre. Ils ne sont pas soumis à homologation préalable mais doivent, après qu’ils aient été fixés, être communiqués, avec le dossier y afférent, au ministre ayant l’économie nationale dans ses attributions, pour un contrôle a posteriori. Nous constatons que dans la pratique en RDC, cette disposition n’est pas respectée.

  1. QUI CONTROLE LES PRIX ?

En effet, tandis que jadis, le décret-loi du 20 Mars 1961 donnait compétence au ministre ayant l’économie nationale dans ses attributions pour fixer le prix maximum (ou « prix homologué ») ou la marge bénéficiaire des produits (neufs ou d’occasion) ou services, au stade de la production et à tous les stades de la distribution, aujourd’hui, il résulte de la loi relative à la liberté des prix et concurrence que le contrôle et la régulation de la concurrence relèvent de la compétence d’un organisme public dénommé Commission de la concurrence[7]. Celle-ci statue sur base des requêtes afférentes aux pratiques anticoncurrentielles et à celles de la concurrence déloyale. Les modalités d’organisation et de fonctionnement de la Commission de la concurrence sont fixées par décret du Premier ministre délibéré en Conseil des ministres, sur proposition du ministre ayant l’économie nationale dans ses attributions.[8] Notons ici que cette commission n’a jamais vu le jour.

  1. Que prevoit la loi en cas de non respet?

Malgré l’existence de tout l’arsenal juridique exposé dans les précédentes lignes, la pratique congolaise des affaires nous offre au quotidien un spectacle décevant. En effet, les infractions à la législation des prix sont prévues à l’article 60 de la présente loi en ces termes :

« Sont constitutifs d’infractions en matière de prix notamment :

  1. les pratiques illicites de prix ;
  2. le commerce triangulaire ;
  3. la rétention des stocks ;[9]
  4. la détention illicite des stocks ;
  5. le défaut de facturation ;
  6. la non transmission des structures des prix ;
  7. la non publication des prix et documents commerciaux.

Enfin, le législateur punit la pratique des prix illicites[10] d’une servitude pénale de six mois au maximum et d’une amende qui ne dépasse pas cent millions de Francs congolais, ou l’une de ces peines seulement.

CONCLUSION

J’ai appris auprès de Monsieur le Professeur Bisa Michel qu’une mauvaise décision politique d’une autorité compétente en tant de crise est plus fatale qu’un missile lancé sur un pays en temps de guerre par des ennemis. La pratique actuelle du prix en RDC surtout à Kinshasa, nous laisse perplexe ; nous avons comme l’impression que l’Etat Congolais ne s’occupe plus de la fixation des prix sur le marché et pourtant il existe un arsenal juridique qui réprime les opérateurs économiques qui ne respectent pas la législation en la matière.

L’article 10 de la loi de 2018 relative à la liberté des prix et de la concurrence dispose que : « Dans une situation de crise, de calamité naturelle ou des circonstances exceptionnelles provoquant ou menaçant de rompre l’équilibre du marché par une désorganisation des capacités d’approvisionnement et de stockage des produits, le Gouvernement peut, sur proposition du ministre ayant l’économie nationale dans ses attributions, réglementer les prix des biens et services ». [11]

Le Gouvernement Congolais à travers son Ministère de l’Economie devait anticiper avec des mesures pour sauvegarder l’équilibre du marché ; malheureusement, grâce à son coma cinématographique, le spectacle de la hausse de prix surtout pendant cette période de crise sanitaire non seulement rend difficile aux consommateurs congolais de faire face à la crise, mais aussi expose la population à une contamination du virus qu’on appelle Covid-19.

Face à cette situation, nous plaidons par la présente note pour que le Ministre de l’économie congolais sorte de son silence, de son coma cinématographique, qu’il propose au gouvernement une réglementation des prix qui protégera les consommateurs congolais face aux opérateurs économiques qui se comportent comme au Parc Naturel.

PAUL VINNY KABWE

AVOCAT A LA COUR

ASSISTANT A LA FACULTE DE DROIT DE L’UNIVERSITE DE KINSHASA

APPRENANT EN DES/UNIKIN.

[1] NDUKUMA ADJAYI KODJO, Éléments comparés de Droit des affaires et de Droit public économique à l’ère OHADA et du numérique, Extrait du manuel de cours de Droit des affaires à l’intention exclusive de L1 FASÉ/UPC/Promo 20017-2018, P.1.

[2] LOI ORGANIQUE n° 18-020 relative à la liberté des prix et à la concurrence (J.O.RDC., 23 juillet 2018, n° spécial, article 86.

[3] Les pratiques anticoncurrentielles sont généralement considérées comme des comportements souvent

Durables d’entreprises qui cherchent à organiser les marchés sur lesquels elles interviennent, à faire régner dans les relations qu’elles nouent avec leurs partenaires un ordre qui favorise leurs intérêts particuliers, en bloquant ou en faussant gravement la concurrence. Les ententes et les abus de position dominante sont des exemples typiques de pratiques anticoncurrentielles auxquelles sont fréquemment rattachées les aides d’État et la création de monopoles et d’entreprises publiques.

[4] A la différence des pratiques anticoncurrentielles, les pratiques restrictives de concurrence sont, au sens strict, des comportements souvent moins durables dont le but est de restreindre la concurrence dans les relations entre professionnels. En guise d’exemples de pratiques restrictives de concurrence, on peut citer l’imposition de prix de revente, le refus de vente, la vente à des prix ou à des conditions discriminatoires, la revente à perte et le paracommercialisme ou les ventes sauvages.

[5] Les pratiques illicites, génératrices de concurrence illicite ou illégale, désignent les comportements prohibés par les lois et règlements. Les pratiques déloyales, créatrices de concurrence déloyale, sont les comportements contraires aux usages loyaux du commerce16, tels que la création d’une confusion entre entreprises ou produits concurrents et le dénigrement des entreprises et des produits rivaux.

[6] LOI ORGANIQUE n° 18-020 relative à la liberté des prix et à la concurrence (J.O.RDC., 23 juillet 2018, n° spécial, col. 105), article 6.

[7] LOI ORGANIQUE n° 18-020 relative à la liberté des prix et à la concurrence (J.O.RDC., 23 juillet 2018, n° spécial, col. 105), art. 58.

[8] LOI ORGANIQUE n° 18-020 relative à la liberté des prix et à la concurrence (J.O.RDC., 23 juillet 2018, n° spécial, col. 105), art. 59.

[9] Rétention des stocks : le fait, pour un producteur ou un commerçant, de différer la mise en œuvre des matières premières ou de produits semi-finis ou de conserver un stock de produits destinés à la vente supérieur au stock normal

[10] Prix illicite : prix supérieur au prix fixé conformément aux dispositions de la présente loi et à leurs mesures d’application ou prix supérieur au prix réglementé.

[11] LOI ORGANIQUE n° 18-020 relative à la liberté des prix et à la concurrence (J.O.RDC., 23 juillet 2018, n° spécial, col. 105), art.10.