LES OBSTACLES DE L’EDUCATION FAMILIALE EFFICACE EN AFRIQUE
Introduction
La famille est la première cellule de la société, et toute société pour se reproduire passe par la famille. Éduquer un enfant de nos jours devient une tâche très difficile, tous ceux qui sont engagés dans ce processus complexe s’en plaignent. Certains acteurs parlent d’une crise de l’éducation. Qu’il s’agisse des parents, pour ce qui est de l’éducation familiale ; des enseignants, pour ce qui est de l’instruction scolaire ; c’est le même refrain : « nous ne comprenons pas nos enfants (nos élèves), ils ne sont pas ce que nous avons été pour nos parents (nos enseignants)».
En effet, éduquer est un art qu’on doit apprendre. Par ailleurs, pour mieux éduquer de nos jours, il faut connaître le contexte dans lequel les enfants vivent et grandissent. Au XXIe siècle, quels sont les obstacles d’une éducation épanouissante dans le contexte familial en Afrique ? Nous rappellerons les finalités de l’éducation dans les sociétés africaines dans un premier temps et dans un second temps, nous mettrons en exergue les facteurs qui empêchent l’épanouissement des enfants dans le cadre familial.
- Les finalités et le contexte de l’éducation familiale dans l’Afrique d’antan
Toute éducation, tout système éducatif est fondé sur des finalités. Elles sont une vision particulière du monde conçue par ceux qui instituent le système d’éducation. Elles constituent la toile de fond qui guidera toute l’action éducative. C’est ainsi que, soucieux de former la jeune génération à s’intégrer plus tard dans la société des adultes, les sociétés africaines ont conçu et mis en place des systèmes particuliers d’éducation. Ceux-ci étaient conformes à la vision du monde qu’avait chaque société particulière. Les finalités de chaque société étaient conformes à son environnement physique. Un africain habitant au bord de la mer ne recevait pas la même éducation qu’un africain des montagnes ou des plateaux parce que n’étant pas confronté aux mêmes réalités environnementales. Les pratiques éducatives varient toujours avec les finalités et les méthodes, guidées par le contexte.
L’éducation était d’abord, transmission d’un patrimoine ou d’un héritage d’une génération à l’autre. Elle visait à assurer la continuité des éléments de la civilisation porteurs d’une culture. Toute l’action éducative s’assure que les conduites et attitudes nécessaires à la survie de la culture sont apprises et surtout bien assimilées. La société initie ainsi la jeune génération aux valeurs et techniques qui caractérisent la vie de sa civilisation (Erny, 1977). C’est grâce à l’éducation que l’enfant se dote d’un langage, de connaissances, d’une échelle de valeurs et de pensées, d’une affectivité, d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre.
Cette vision de l’éducation a conduit les sociétés africaines à intégrer l’enfant à toutes les activités de la vie commune. Il y participe dans le but d’être imprégné des tâches et des responsabilités qui seront les siennes plus tard quand il sera adulte. D’où la nécessité de “l’initiation” dans la plupart des sociétés. Les autres activités auxquelles l’enfant ne participe pas sont considérées comme dépassant sa sphère psychique ou physique, donc n’étant pas capable de les comprendre ou de les supporter, à son âge. Sinon la plupart des activités concernent la jeune génération. La pêche, la chasse, les activités champêtres, certaines danses rituelles constituent autant d’activités auxquelles est associé l’enfant. Puisque la jeune génération devait faire enfin de compte ce que les adultes font, l’éducation se faisait donc plus par imitation et par initiation pratique. L’éducation était fondamentalement l’œuvre de toute la communauté, elle était lignagère, clanique, communautaire dans une large mesure. Toute la communauté était censée intervenir pour faire acquérir à la jeune génération les aptitudes et attitudes dont pouvait réclamer de lui la vie communautaire. Les actes et comportements antisociaux étaient réprimés par n’importe quel membre de la communauté. Car pour l’africain, avec cette économie communautaire, il était important que le patrimoine de la communauté soit préservé.
Aujourd’hui, la mission de l’éducation de la jeune génération est aujourd’hui exclusivement remise à la famille restreinte. La communauté n’est quasiment plus sollicitée par aucune action éducative. Au même moment la famille à qui incombe la charge d’éduquer la jeune génération traverse des difficultés énormes dues aux mutations socioéconomiques et culturelles que connaissent la plupart des sociétés africaines. Ces mutations ne permettent pas à l’Afrique de continuer par former des personnes aptes pour une économie agraire (fondée sur l’agriculture), alors que la société s’engage dans une économie capitaliste, fortement industrialisée. L’école qui s’est introduite en Afrique par la colonisation, comme pour venir à bout du déficit d’éducation communautaire destinée à une économie agraire, n’a véritablement permis de pallier au problème d’éducation que pose la jeune génération aujourd’hui. La plupart des pays Africains vivent dans cette ambivalence des valeurs, créant ainsi une entorse à l’évolution économique, au développement harmonieux de ceux-ci.
- Les obstacles à l’éducation familiale efficace en Afrique
Les obstacles que nous voulons mettre en exergue dans cet article sont : l’influence néfaste de l’école, l’absence prolongée des parents du cadre familial, l’affaiblissement de l’autorité parentale, la disparition du rôle de la femme, l’influence des mass médias, la dysharmonie entre les conjoints et la sacralisation des droits de l’enfant.
Le rôle que jouait la famille en tant que cellule première de la société a été transmis à l’école en ce XXIe siècle. Les parents se sont désengagés du rôle qui était le leur. En général les parents ont trouvé en l’école une instance de relais du rôle que jouait soit la famille, soit le clan ou le lignage soit tous ensemble. Aujourd’hui, l’on inscrit un enfant à l’école pour se soustraire de ses responsabilités, se libérer de ses caprices et pouvoir vaquer à ses occupations. Les parents confient leurs enfants aux maîtres d’école tout en espérant que l’enfant manifeste des comportements qu’ils souhaitent. Cette manière d’appréhender la fonction de l’école en Afrique suscite des interrogations quant aux missions particulières et complémentaires des deux institutions. Ainsi pouvons-nous dire que l’avènement de l’école joue contre l’éducation familiale dans une certaine mesure. La scolarisation des enfants à une visée capitaliste. On les scolarise pour qu’ils occupent une fonction dans l’économie capitaliste. La consommation de masse qui caractérise le capitalisme de notre époque engendre une dépendance des sociétés africaines face aux pays occidentaux quant à la production des biens de consommation.
Ainsi, pour satisfaire les besoins de leurs familles, lesquels besoins deviennent importants, les parents sont obligés de travailler hors du cadre familial (rappelons que la famille était une entreprise dans le passé) et parfois de multiplier les jobs, dans le cas des parents peu instruits. Ce travail salarié fait des parents des étrangers à leurs enfants. Ces deux partenaires (parents et enfants) se voient rarement pour quelques échanges affectifs parfois sans réel engagement. Certains parents parce qu’ils ont beaucoup d’argent ne donnent que le matériel alors que l’enfant a besoin de leur affection et de leur présence réelle. Dans ces cas qui deviennent légion dans nos sociétés, les enfants sont éduqués par les mass médias ou par des personnes peu recommandables. Pour d’autres, ceux qui n’ont pas d’argent, ils se voient amputer la grande partie de leur autorité parentale. Car, un parent qui n’arrive pas à subvenir aux besoins primaires de l’enfant (manger, dormir, se vêtir, se scolariser, etc) perd la grande partie de son autorité. Cette autorité est par conséquent transférée aux enseignants et aux mass médias qui eux aussi ne peuvent l’exercer efficacement. Pour les enseignants, devant le surpeuplement scolaire, ils n’arrivent pas accompagner chaque élève pour qu’il ait aussi bien les savoirs, les savoir-faire, les valeurs et les savoirs vivre ensemble. Par conséquent, l’autorité parentale est subséquente à deux facteurs importants : l’assistance matérielle et le soutien affectif. Ces deux dimensions constituent ce qu’on peut appeler la protection de l’enfant. L’absence de ces deux impératifs rend l’enfant dépendant de l’extérieur, le rendant vulnérable à l’influence des amis qui souvent sont peu recommandables, sans oublier l’influence évidente des mass médias sur les enfants, de nos jours. Tous ces lieux d’éducation trouvent leur force parce que les parents sont souvent absents du cadre familial. L’absence de plus en plus longue de la femme est plus remarquable que celle de l’homme.
La femme travaillait en élevant sans enfant dans le passé en Afrique ; de nos jours, à la faveur de sa scolarisation, de son émancipation et des mouvements féministes qui travaillent à reconnaissances du droit de la femme, la femme est obligée de travailler hors de son ménage, elle travaille dans tous les secteurs d’activité. La nucléarisation des familles fait qu’elle est obligée de recourir à des aides familiales (domestiques) qui n’ont pas toujours les qualités requises pour bien éduquer sa progéniture. Or, le rôle de la femme dans l’éducation de l’enfant est primordial, elle est le carburant affectif de l’enfant. C’est elle qui l’a vu grandir en son sein et qui l’accompagne jusqu’à son intégration sociale. Elle ne peut plus le faire car elle doit l’abandonner très tôt pour retourner travailler et gagner l’argent.
Dans ces conditions, les enfants sont éduqués par les mass médias en l’absence des parents. La télévision est un outil de changement de mentalité fort important. La télévision ne joue plus son rôle d’information, d’éducation et de distraction, elle communique des manières de sentir, d’être et des valeurs. La fonction d’éducation n’est pas tellement prise en compte dans la plupart des programmes des différents mass médias. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre les programmes de nos mass médias. En somme, les mass médias constituent un moyen d’introduction de la culture étrangère, par ricochet des valeurs étrangères dans la famille africaine avec des conséquences parfois fâcheux sur les enfants. Cet emprunt culturel, plutôt cet impérialisme culturel entraîne ce qu’on peut appeler une hétérogénéité culturelle qui ne favorisent pas l’intégration des valeurs par les enfants.
Un autre obstacle se révèle être la dysharmonie entre les conjoints. Pour bien éduquer les enfants en famille, il faut un minimum de valeurs partagées par les époux. Force est de constater qu’au sein du couple subsiste des malentendus qui ne favorisent pas l’intégration des valeurs. Car pour qu’un enfant apprenne, il faut que les valeurs apprises soient cohérentes. Parfois le niveau d’éducation peut aussi avoir une influence sur l’éducation des enfants. Les parents peu instruits démissionnent de responsabilité parce qu’ils croient que l’analphabétisme est une vulnérabilité éducative.
En outre, à observer de près, la culture actuelle, l’on met le droit des enfants au-dessus de ceux des parents, nous sommes ainsi dans une génération des enfants rois. Sa royauté vient du fait qu’il peut tout faire parce qu’il a des droits et non des devoirs. Il y a une sorte de sacralisation du droit de l’enfant qui entraine parfois l’affaiblissement de l’autorité des parents.
Conclusion
La particularité des familles chrétiennes, c’est le fait qu’elles aient reçu la lumière de l’évangile. Les obstacles que nous venons d’explorer sont également applicables aux familles chrétiennes. L’obstacle principal dans les familles chrétiennes, c’est la dysharmonie du couple et son manque d’engagement chrétien. Autrement dit, si les parents chrétiens s’aiment entre eux et témoignaient du Christ à travers leur amour, il leur serait facile de transmettre les valeurs chrétiennes à leurs progénitures. Les germes d’une bonne société se trouvent dans le noyau familial. Si on veut que nos sociétés soient plus vivables, il faut reconsidérer la cellule de base. Nos sociétés sont à l’image de nos familles. Il y a donc lieu de penser à des nouvelles politiques de la famille, il faut repenser l’éducation familiale.
Dr Emmanuel Tamégnon YAOU
Maître-Assistant de sociologie de l’éducation
Université de Kara (Togo)